Interview avec Bipolar Club : « On ne pense pas que la musique doive forcément être engagée. La nôtre l’est devenue naturellement. »
A l’approche de la sortie de leur prochain disque « Entropie » le 14 novembre, j’ai échangé avec Gabriel, chanteur et parolier du quatuor rock toulousain Bipolar Club. On a parlé de cinéma, de société et de rock en français.
Hello Gabriel, à quelques semaines de la sortie d’un premier album comment on se sent ?
On se sent stimulé. Il y a beaucoup de travail et un mélange d’appréhension, parce que ça fait plus de deux ans qu’on travaille dessus. On se dit “ça y est, ça va arriver”, et après on se demande quelle sera la suite. Mais je pense que ce sera surtout du soulagement, parce que ça a demandé beaucoup d’investissement : du temps, de l’énergie, de l’argent, de la prise de risque. On est contents, et surtout impatients de défendre tout ça sur scène.
Il y a plusieurs écoles : ceux qui testent les morceaux sur scène avant d’enregistrer, et ceux qui les révèlent seulement après la sortie. Avec Bipolar Club vous êtes plutôt dans quelle approche ?
Un peu des deux. L’idée de ne pas dévoiler les titres avant la sortie est intéressante, mais nous, on a plutôt choisi de les jouer sur scène. Les gens qui nous ont vus en concert depuis plus d’un an ont pu entendre les morceaux de l’album. On part du principe qu’un titre doit fonctionner sur scène.
Et le public est au rendez-vous, j’imagine ?
Oui, et je pense même que certains morceaux marchent mieux en live. On est un groupe de scène. Personnellement, j’aime beaucoup le studio, mais j’aime surtout le processus de création, de construction du morceau. Malgré tout, sur scène, les morceaux prennent une autre dimension. Beaucoup de gens nous disent être surpris par l’énergie du live.
Surpris comment ? Vous réarrangez les morceaux pour la scène ?
C’est surtout une question d’énergie brute. C’est très difficile de retranscrire l’énergie du live sur un album. J’adore Nirvana, et ce qu’ils ont réussi à faire sur « Nevermind », c’est surhumain : il y a à la fois le côté torturé et une perfection sonore incroyable.
Et justement, c’est quoi votre processus de création ?
Les meilleures chansons arrivent souvent d’un coup. Ce sont les plus simples à écrire et à jouer. Quand on répète, on sent vite si un morceau fonctionne ou pas, c’est un ressenti. On arrive souvent avec des bases déjà établies, qu’on fait évoluer ensemble. On enregistre beaucoup nos sessions, comme des maquettes. On fonctionne par périodes : des moments de création pure, puis des phases de concerts. En ce moment, on est tellement plongés dans l’album qu’on compose moins, mais il y a un temps pour tout.
Vous aviez déjà sorti deux EPs, avant cet album. Qu’est-ce qui est différent, cette fois ?
Le passage au français a tout changé. Ça s’est fait naturellement, mais ça nous a permis de poser nos idées plus facilement. Avant, j’écrivais en anglais, et les textes étaient moins engagés. Sur cet album, on a voulu parler davantage de ce qu’on ressentait, parce qu’il s’est passé beaucoup de choses en trois ans, à titre personnel et dans la société. Cette colère s’est transformée en chansons.
Faire du rock en français, ça change quoi ?
C’est plus frontal, et plus risqué aussi. En anglais, le public ne comprend pas toujours les paroles, donc on peut se permettre d’être plus flou. En français, on ne peut pas se louper. Certains trouvent que c’est plus dur, moi je trouve que c’est plus naturel, parce que c’est notre langue.
Ça permet plus de nuance ?
Oui, on peut aller plus loin, écrire des choses plus profondes. Je n’aurais jamais pu écrire les textes de cet album en anglais. Et puis à trente ans, on a envie de parler d’autres choses qu’à vingt ans.
Vous abordez des thèmes de société : la surconsommation avec Dans les décombres, l’individualisme avec Egotrip, les reseaux sociaux…
Oui, c’était inévitable. On a vécu une période compliquée, entre crises politiques, guerres, climat social. Tout ça nous a mis en colère. Hurler cette colère sur scène, c’est presque cathartique. Dans le groupe, on partage les mêmes convictions. On parle de réseaux sociaux, de surconsommation, d’hypocrisie… Ce sont des choses qui nous énervent, mais on ne pense pas que la musique doive forcément être engagée. La nôtre l’est devenue naturellement.
Le titre de l’album, « Entropie » m’a intrigué et j’ai regardé sa définition : augmentation du désordre. C’est ça, votre idée ?
Exactement. C’est un mot qui illustre bien le rock : une musique de désordre qui demande beaucoup de rigueur. Tous les bons groupes de rock sont extrêmement précis. C’est ce paradoxe qui nous plaît.
Il y a aussi un côté très cinématographique dans les sonorités. C’est volontaire ?
Oui, complètement. On est de grands cinéphiles, surtout avec Ben, notre guitariste. Fight Club, par exemple, c’est un clin d’œil dans le nom du groupe. Le cinéma influence nos paroles, nos clips, nos visuels… parfois sans qu’on s’en rende compte.
Et si votre musique devait être utilisée dans la B.O un film, ce serait lequel ?
Un film de David Fincher, sans hésiter. Quelque chose de sombre, intense. Ou un Nolan. On aime ce genre d’univers.
Est-ce que le cinéma vous influence aussi dans l’écriture ?
Parfois, oui. Mais sur cet album, c’est surtout la société et nos expériences de vie qui ont inspiré les textes. En revanche, pour les visuels, oui : il y a une vraie réflexion esthétique, une cohérence dans les couleurs, notamment ce bleu “bipolaire”. On travaille tout ça à quatre, avec notre vidéaste Lucas Conesa.
Tu veux bien nous partager ton meilleur souvenir de scène ?
Récemment, au 33 Tours, à Saintes. Petite salle, mais super ambiance. Tout a cliqué : le lieu, le public, la cohésion entre nous. Et puis la première date du groupe, au Supersonic à Paris, reste un moment fort.
Et si tu pouvais créer ton festival de rêve ?
Je ferais venir The Verve, Fontaines D.C., Radiohead… Tous les grands groupes des années 90. Et je ferais ça sur une plage du Var, à la manière du festival Plage de Rock. L’ambiance y est incroyable.
L’album sort bientôt, vous prévoyez des concerts ?
Oui, on joue le 28 novembre au Metronum, avec Twin Souls, qui sortent leur album le même jour que nous. On fera deux dates ensemble, à Bordeaux et Toulouse, et on annonce bientôt la tournée : Nice, Pessac, Draguignan, Paris…
Et avant de nous quitter et en référence au dernier morceau de l’album : le rock est-il vraiment mort (cf Le rock est mort) ? C’était évidemment de la provocation. Le nom Bipolar Club dit tout : on aime les paradoxes. Le rock n’est pas mort, mais la culture ne va pas très bien. Les réseaux sociaux, la désinformation, tout ça nous inquiète. Internet devait nous faire gagner du temps, mais on s’y perd. Alors on a décidé de crier fort, nous aussi !
Gabriel Moland : Chant / Guitare
Benjamin Entringer : Guitare
Florian Le Cam : Batterie
Pierre Santillan : Basse
