Interview Los Guyabo Brothers : “La musique est la bande son de la vie”

Le groupe toulousain présente “Psychotropical” un album hybride imaginé par les esprits créatifs et surdiplômés d’une joyeuse bande de globe-trotteurs. Au programme, 7 titres colorés et enivrants qui font voyager par des sonorités traditionnelles latino-américaines et du rock psychédélique. 

Bonjour messieurs. Qui étiez-vous avant la fondation du groupe ? 

Arnulfo : Moi c’est Arnulfo Carazo , 40 ans, je suis musicien, chanteur et compositeur colombien de Bogota. J’ai un peu toutes les casquettes possibles ! Je suis arrivé dans le pays en 2002, pour mes études de musique et d’ingénierie de son. J’ai un peu étudié le français et la musique à Montbéliard avant de bifurquer vers l’acoustique. Au final, j’ai un diplôme d’ingé en acoustique et une thèse aéro-acoustique sur les bruits de moteurs des avions ! Par la suite, j’ai commencé à travailler chez Airbus à Toulouse. J’en ai profité pour rejoindre le Conservatoire de la ville et fonder le groupe avec Juan Pablo. 

Juan Pablo : Moi c’est Juan Pablo Álvarez, le guitariste. Je suis Colombien aussi, originaire de la ville de Cali, j’ai 34 ans et je suis arrivé en France en 2006. Je débutais une prépa pour les écoles d’ingénieurs. Mais je me suis finalement orienté vers des études de physique à l’École Normale Sup de Lyon et j’ai fait mon doctorat de physique quantique à Toulouse. Mais je suis revenu vers la musique. En tant que musicien et gestionnaire d’association culturelle pour le Guayabo Colectivo que j’ai créé et que j’administre. 

Vous êtes comme Queen finalement, des rockers sur-diplômés ! On peut se demander comment la musique s’est imposée à vous avec de tels parcours. Il y a eu un déclic ? 

A : Ma mère est professeure de musique et mon père musicien. Bon, il était aussi avocat mais il joue dans un groupe traditionnel en Colombie. En réalité, je voulais être musicien depuis tout petit. Devenir chanteur, c’est ça mon rêve d’enfant !  Mais, une fois en France, je me suis fait absorber par mes études. La science est passionnante et j’aime beaucoup ! Mais, d’un coup, je me suis rappelé que je n’avais pas traversé l’océan pour ça. Alors j’ai choisi de revenir à la ligne conductrice de ma vie : la musique. 

JP : La musique a toujours été omniprésente dans mon existence. Il y en avait partout, à chaque étape. La musique, c’est la bande originale de la vie. Elle m’a toujours accompagné mais je ne l’ai jamais considérée comme une option de profession viable à long terme pour une carrière. Je voulais faire de la physique, de la recherche… J’ai poursuivi ce but pendant presque 10 ans. J’étais venu en France pour ça ! Mais je jouais à côté des études. Et après le doctorat, j’ai découvert la vie académique. Ce n’était pas exactement ce que je voulais faire de ma vie, finalement. Même si j’adore ça. Il y a aussi une forme de créativité dans la recherche. Mais c’est un petit monde qui s’entretient dans un certain entre-soi qui ne parle qu’aux gens savants. Moi je veux toucher les gens tout court ! 

On avait fondé le groupe pendant mon doctorat, il a grandi, et on a découvert ensemble la magie d’être sur scène et de partager notre création avec d’autres musiciens. La musique crée une communion, il n’y a pas besoin de parler la même langue, un tambour suffit et les gens dansent ! C’est ça le déclic finalement. Ça nous a donné l’envie de se professionnaliser. 

Et comment vous êtes vous rencontrés ? 

A : Lors d’un apéro au bord de la Garonne ! C’était en 2012 avec des amis colombiens. J’avais ramené la guitare pour jouer un peu et qu’on s’amuse. Et puis la guitare est passée de mains en mains. On a convenu que c’était un moment sympa et qu’il fallait rejouer de la guitare ensemble ! C’est devenu des réunions régulières et festives. Et, un jour, nous avons eu l’idée d’enregistrer ce qu’on jouait. Et tout s’est enchaîné ! 

JP : Le “un peu de musique de temps en temps” s’est changé en “10 ans de collaboration où on est à fond et on sort un nouvel album”

La musique colombienne est un carrefour de trois influences principales. Mais avec beaucoup de façons de jouer, d’instruments différents, de cultures…

Parlez-moi un peu de ce groupe né ce soir-là sur le quai… 

A & JP : Il a bien évolué au fil du temps ! A la base, c’était une célébration musicale. On se réunissait entre amis et chacun jouait un truc. Nous étions deux à la base mais on a rapidement invité des gens pour varier les instruments ! Il y a eu de la basse, de la trompette… Ça s’est transformé en jams immenses et réguliers où on pouvait être une dizaine. Et on composait. Ce n’était pas professionnel mais c’était sérieux. Une sorte d’orchestre ambassadeur de la musique colombienne avec une notion de fête et de partage… Mais reste la notion de fête et de partage

D’ailleurs, qu’est ce qui fait, selon vous, la spécificité de la musique colombienne ? 

A & JP : C’est la richesse ! La musique colombienne est un carrefour de trois influences principales. Mais avec beaucoup de façons de jouer, d’instruments différents, de cultures… On ne la joue pas pareil selon l’endroit d’où on vient, la Colombie c’est le pays des 1000 rythmes ! On parle beaucoup de la Cumbia, c’est un rythme, mais aussi un mélange de tambours africains avec des airs espagnols chantés, des flûtes amérindiennes… Tout se mélange ! C’est pareil dans le groupe. Il y a deux mexicains, trois français, des influences rocks et électro, plein de cultures et de musiques qui se partagent sur scène.

Quelles étaient vos intentions en composant votre nouvel album ? Après écoute, j’ai eu envie de vous appeler “les Pink Floyd colombiens”…

A : Le nom de l’album : “psychotropical” résume un peu tout. C’était vraiment une note d’intention artistique. Comme dans une exposition d’art. Chaque œuvre a une vie séparée mais est le même versant de l’exposition. Dans notre cas, “psychotropical” se réfère à un genre musical qui sort du catalogue “musique du monde” qui veut tout et rien dire ! Nous revendiquons nos influences, le caractère traditionnel colombien, les tambours et les guitares planantes, mais nous rajoutons aussi des structures de chansons plus progressives. Après, chaque chanson est unique avec des ingrédients mélangés de façons différentes. 

JP : Il y a quelques mois, nous comparions nos morceaux à des cocktails. D’ailleurs, “guayabo” veut dire “gueule de bois” ! En fait, nous utilisons les trois versants de la musique colombienne (africaine, européenne et autochtone). On les mélange et chaque chanson a une proposition différente. L’objectif est de montrer une myriade de compositions avec chacune leur personnalité, leur histoire et leur monde à part…

D’habitude, le versant “européen” qu’on retrouve dans la musique colombienne est surtout hispanique. Mais là, on sent une construction anglo-saxonne qui apporte quelque chose de neuf et de résolument moderne. Est-ce dû à vos études musicales ? 

A : Hmm, c’est vrai qu’il y a des morceaux, comme La Conjunctivitis, qui ont une structure plus classique. Au moment du solo de guitare par exemple. Nous modulons plusieurs tonalités, c’est un peu technique, mais il y a toute une écriture influencée par le Conservatoire. 

JP : Mais des morceaux comme Origins ont été travaillés différemment, avec une influence du rock, très anglo-saxonne, rock et rock psyché. Arnulfo très rock, et moi je suis plus métal, hard rock, à la Iron Maiden… Mais on évite les structures couplet-refrain habituelles dans notre composition. Ca donne des chansons plus longues ! 

J’ai vu qu’il y a un featuring dont vous êtes très fiers à la fin de l’album… Qu’est ce qui vous a amené au featuring avec Los Gaiteros de San Jacinto ?

A & JP : Ah oui ! Mais d’abord, il faut expliquer. San Jacinto est une ville du nord de la Colombie qui a gardé son folklore. Il y a beaucoup de musiques originales des indiens de la région. Ils utilisent notamment les gaitas, ces flûtes de la Colombie avant l’arrivée des espagnols, pour faire de la musique traditionnelle très ancienne, presque mystique. C’est un très très vieux groupe (de 1940 ndlr). Quand un musicien quitte le collectif, un autre membre du village le remplace, parfois les enfants. C’est un pilier de la tradition colombienne. Des légendes même ! Nous les avons rencontré au festival Latino Graff. Par la suite nous avons pu partager la scène avec eux en 2017. On en a profité pour leur proposer de jouer un morceaux et ils ont accepté. C’était incroyable. Il faut se dire qu’ils ont gagné deux Latin Grammy Awards ! Le featuring est en bonus track de l’album, c’est notre composition et un honneur de l’avoir fait avec eux. 

Quels sont les prochains projets ? 

A & JP : L’album est sorti début juin et sera suivi par une tournée de 15 dates. Nous avons sorti un clip live de l’album et un clip d’animation va sortir en octobre en partenariat le festival Latinogram et le Guayabos Colectivo. Des artistes colombiens ont travaillé sur les visuels et le montage en stop motion sera fait par l’ami en commun qui nous a présenté ! 

Crédit photos Daniel Virgüez (Guayabo Colectivo)
Interview par Adrien

Créateur d’Opus, Rémy est à la fois rédacteur et photographe dans notre media. Un mélomane qui écoute aussi bien du rock que du rap ou de la pop, et qui aime fouiller la scène locale.
C’est également lui qui gère le projet Focus d'Opus